Le conseil a étudié cette question qui constitue une difficulté notoire en Europe et dans l’ensemble des pays occidentaux, à savoir, l’achat des maisons par un prêt contracté auprès des banques traditionnelles.
Plusieurs feuilles ont été présentées à ce sujet au Conseil, entre approuvant et désapprouvant. Ces feuilles ont été lues et discutées avec profondeur par l’ensemble de ses membres. Après quoi, le Conseil est parvenu aux conclusions suivantes à la majorité de ses membres :
o Le conseil confirme le consensus de la communauté dont fait l’objet l’interdiction de l’usure « ar-riba » qui fait partie des sept péchés majeurs. L’usure constitue en effet un péché majeur qui provoque pour celui qui s’en rend coupable, une guerre de la part de Dieu et de Son Messager. Le Conseil confirme ainsi les décisions des différents comités de droit musulman assimilant les intérêts bancaires à l’usure illicite.
o Le Conseil invite les musulmans d’occident à s’employer à trouver des alternatives juridiquement légales qui ne présentent aucune controverse et ce, dans la mesure de leur possible en ayant recours par exemple au contrat de « mourabaha » utilisé par les banques islamiques, ou en fondant des sociétés d’immobiliers islamiques qui prennent en charge la construction de ces maisons avec des conditions accessibles pour la majorité des musulmans …etc.
o Le Conseil invite également les différentes organisations et institutions musulmanes à négocier avec les banques européennes traditionnelles pour trouver à cette transaction financière une forme islamiquement acceptable comme « bey’ at-taqsit » (la vente par facilité) selon lequel un supplément est appliqué au prix initial pour le délai supplémentaire accordé. Ceci permettra aux banques d’attirer un grand nombre de clients musulmans avec qui ils organiseront leurs relations commerciales sur cette base, ce qui se fait déjà dans certains pays européens. Par ailleurs, nous avons déjà vu un certain nombre de grandes banques occidentales ouvrir des filiales dans les pays arabes procédant en conformité aux préceptes islamiques comme c’est le cas au Bahreïn et dans d’autres pays.
o Le conseil peut contribuer à ceci en lançant aux banques un appel afin de réviser leur attitude à l’égard des musulmans.
Si rien de ceci n’est possible à présent, le Conseil, à la lumière des arguments, des règles et des considérations juridiques, ne voit aucun inconvénient à avoir recours à ce moyen, c’est-à-dire au prêt bancaire avec intérêt en vue de l’acquisition d’une maison dont le musulman et sa famille ont besoin comme résidence, à condition qu’il ne possède pas une autre maison qui suffit à ses besoins, que la maison en question soit sa résidence principale et qu’il n’a pas en sa possession une épargne lui permettant de l’acquérir sans recourir à ce moyen.
En édictant cette fatwa, le conseil s’est appuyé sur deux fondements :
Le premier fondement : la règle juridique (la nécessité lève l’interdiction) : Il s’agit d’une règle consensuelle tirée du Coran à cinq endroits dont le verset situé dans sourate « al-an’am » (les bestiaux) : « Il vous a détaillé ce qu’Il vous a interdit, à moins que vous ne soyez contraints d’y recourir » (les bestiaux : 119), et le verset situé dans la même sourate après l’énumération de quelques nourritures illicites : « Quiconque est contraint, sans toutefois abuser ou transgresser, ton Seigneur est certes Pardonneur et Miséricordieux » (les bestiaux : 145). Or, les jurisconsultes « fouqaha » stipulent que « le besoin peut être assimilée à la nécessité qu’il soit spécifique ou général ». الحاجة قد تنزل منزلة الضرورة عامة أو خاصة
Le besoin « al-haja » ; son absence fait en sorte que le musulman se trouve dans une situation de gêne même s’il est en mesure de vivre, et ce, contrairement à la nécessité « ad-daroura » dont l’absence rend la vie impossible.
Or, Dieu a épargné la gêne à cette communauté à travers les textes coraniques à l’instar du verset dans sourate « al-hajj » (le Pèlerinage) : « Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion » (Le Pèlerinage : 78) et du verset de la sourate « al-ma-idah » (la table servie) : «Allah ne veut pas vous imposer quelque gêne » (La table servie : 6).
Or, l’habitation qui permet au musulman de repousser la gêne est l’habitation adéquate quant à son emplacement, son espace et son ameublement de telle sorte qu’elle soit considérée comme une habitation digne de son nom.
Par ailleurs, Si le Conseil s’est appuyé sur la règle de la nécessité ou du besoin assimilé à la nécessité, il n’a pas négligé l’autre règle qui vient la délimiter et la compléter, à savoir (ce qui est permis par nécessité doit être estimé à sa juste valeur). الضرورة تقدر بقدرها
Aussi, le Conseil n’a pas permis l’acquisition de locaux pour commerce ou autre.
L’habitation constitue sans aucun doute une nécessité pour l’individu musulman et pour la famille musulmane. D’ailleurs, Dieu rappelle ce bienfait à ses serviteurs en disant : « Et Allah vous a fait de vos maisons un lieu de quiétude » (Les abeilles : 80).
Le Prophète (BSDL) a fait de l’habitation spacieuse l’un des quatre ou trois éléments constitutifs du bonheur. Or, l’habitation locative ne répond pas à tous les besoins du musulman et ne lui procure pas un sentiment de sécurité bien qu’elle lui coûte énormément étant donné ce qu’il paie au propriétaire. Le musulman continue alors de payer pendant des années et des années sans pour autant ne posséder de l’habitation ne serait-ce qu’une seule pierre, et demeure en dépit de cela exposé à l’expulsion si le nombre de ses enfants ou de ses invités augmentent. De même, s’il prend de l’âge ou si ses revenus diminuent ou s’estompent, il devient exposé à être jeté dans la rue.
Acquérir son habitation permet d’épargner au musulman ce souci. De plus, cela lui permet de choisir une habitation à proximité de la mosquée, du centre islamique ou de l’école musulmane, et offre à la communauté musulmane une occasion de se rapprocher, ce qui permettrait à leurs enfants de s’entre-connaître, de développer les liens qui les unissent et de s’entraider à vivre fidèlement aux enseignements de l’islam.
Ceci permettrait également au musulman l’aménagement de son habitation de façon à répondre à ses besoins religieux et sociaux puisqu’il en est le propriétaire.
A côté de ce besoin individuel pour tout musulman, il y a un besoin collectif relatif à l’ensemble des musulmans qui vivent en minorité en dehors de la terre d’Islam, et qui consiste à améliorer leurs conditions de vie et à élever leur niveau. Ils présenteront alors une image rayonnante de l’islam. Cela consiste également à se libérer des contraintes financières qu’ils subissent pour s’acquitter de leur devoir de « da’wa » et contribuer à l’essor de la société dans son ensemble. Or, cela implique que le musulman ne doit pas consacrer tout son effort et toute son énergie à payer ses charges locatives et le coût de sa subsistance quotidienne, ne trouvant plus ainsi l’occasion de servir sa société ni sa religion.
Deuxième fondement : L’avis d’Abou Hanifa et de son élève Mohamed ibn al-Hassan ash-Shaybani, qui est l’avis adopté au sein de l’école hanafite.
C’est également l’avis de Sofiane ath-Thawri, de Ibrahim an-Nakh’i. C’est aussi l’un des avis relaté d’après Ahmed ibn Hanbal auquel Ibn Taymiya accorde la prévalence – selon les dires de certains hanbalites – à savoir, la permission d’établir des contrats faisant intervenir l’usure « ar-riba » et de tout autre contrat juridiquement invalide, entre les musulmans et les non-musulmans en dehors de la terre d’Islam.
La prévalence est accordée ici à cet avis pour plusieurs considérations dont :
1– Le musulman n’est juridiquement pas tenu de s’acquitter des prescriptions juridiques d’ordre civil, financier, politique et de toute autre prescription relevant de l’organisation générale de l’état musulman lorsqu’il se trouve dans une société non-musulmane, car ceci ne lui est pas possible, et Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. Or, l’interdiction de l’usure est du nombre des prescriptions relatives à l’identité de la société, à la philosophie de l’état et à son orientation sociale et économique.
Le musulman n’est tenu de s’acquitter que des prescriptions d’ordre individuel comme les prescriptions relatives au culte, à la consommation, à l’habillement, ainsi que les prescriptions concernant la mariage, le divorce, la révocation, le délai de viduité, l’héritage et autres prescriptions relatives au statut personnel, de sorte que si des restrictions lui sont imposées dans ces questions au point de se trouver dans l’incapacité totale de pratiquer sa religion, il serait de son devoir de quitter cette terre dans la mesure de son possible.
2– Si le musulman n’a pas recours à ces contrats juridiquement invalides (en terre d’Islam) – dont l’usure – sa conformité à l’islam sera la cause de son affaiblissement au niveau économique et la source de ses pertes financières. Or, en principe, l’islam est sensé le renforcer et non pas l’affaiblir, l’enrichir et non pas l’appauvrir, lui profiter et non pas lui nuire. D’ailleurs, certains savants parmi les pieux prédécesseurs ont permis au musulman d’hériter un parent non-musulman en se référant au hadith : « L’islam rajoute et ne diminue pas », c’est-à-dire, il accroît les biens du musulman et ne les diminue pas, ainsi qu’au hadith : « L’islam élève et rien ne s’élève au-dessus de lui ». En outre, si le musulman n’as pas recours à ce genre de contrat qui font l’objet d’accord entre les non-musulmans, il sera toujours contraint à s’acquitter de ce qu’on lui demande, mais ne tirera aucun profit en contrepartie. Il met ainsi en application les lois et les effets des contrats et ce qu’elles renferment de désavantages, et ne les appliquent pas dans son avantage. Par conséquent, il subit toujours les désavantages et n’en tire jamais profit.
Le musulman se trouvera ainsi constamment dans la position de victime de l’injustice financière et ce, à cause de sa conformité à l’islam. Or, l’islam n’a pas pour but d’opprimer le musulman à cause de sa fidélité, en le laissant – en dehors de la terre d’islam – telle une proie dont on peut profiter, lui interdisant de tirer profit, à son tour, de ce qu’offrent les différentes transactions selon les contrats répandus et reconnus auprès des non-musulmans.
Quant au fait de dire que l’école hanafite autorise les transactions usuraires en cas de réception et non pas en cas de remise, dans la mesure où la remise ne présente aucun intérêt pour le musulman, or, les hanafites n’autorisent les transactions commerciales par le biais de contrats juridiquement invalides qu’à deux conditions :
- La première : Elles doivent présenter un avantage pour le musulman.
- La deuxième : Elles ne doivent pas renfermer de tromperie ni de trahison à l’encontre du non-musulman. Or, ici, l’intérêt du musulman n’est pas avéré.
La réponse est que ceci est contestable comme l’indique les propos de Mohamed ibn al-Hassan ash-Shaybani dans « as-sayr al-kabir » ainsi que la portée générale des propos des plus anciens parmi les savants de l’école. De plus, le musulman, bien qu’il donne l’intérêt, est ici le bénéficiaire étant donné qu’il finit par posséder la maison.
Par ailleurs, les musulmans vivant dans ce contexte affirment, par audition directe ou par courrier que les mensualités qu’ils paient à la banque sont identiques au loyer qu’ils paient au propriétaire, et parfois même inférieures.
Par conséquent, si nous interdisons les transactions usuraires avec la banque, nous privons le musulman de posséder un logement pour lui et pour sa famille, or ceci fait partie des besoins vitaux pour l’être humain comme le stipule les jurisconsultes « fouqaha ». D’autant plus qu’il peut payer un loyer pendant, vingt, trente ans ou plus, mensuellement ou annuellement sans rien posséder, alors qu’il pouvait, en vingt ans ou moins, acquérir une maison.
Et si cette transaction n’était pas permise selon l’école hanafite et ceux qui partagent son avis, elle le serait pour tous au nom du besoin qui peut être parfois assimilé à la nécessité.
Notamment, qu’ici, le musulman fait consommer l’usure et ne le consomme pas lui-même, c’est-à-dire, il donne l’intérêt mais ne le prend pas, or l’interdiction concerne principalement la consommation du produit de l’usure comme l’énonce expressément les versets coraniques. Quant au fait de faire consommer l’usure, son interdiction relève de la précaution, à l’instar de l’interdiction de sa mise à l’écrit ou d’en porter témoignage. L’interdiction de faire consommer l’usure relève donc de l’interdiction des moyens, non pas de l’interdiction des finalités.
Or, il est notoirement connu que la consommation du produit de l’usure ne peut être en aucun cas permise. Quant au fait de le faire consommer (au sens de le donner), il est permis en cas de besoin comme le stipulent les jurisconsultes qui permettent, par ailleurs, le recours à un prêt usurier lorsqu’aucune voie licite ne se présente.
Parmi les règles juridiques les plus célèbres à ce sujet : « Ce qui est interdit en soi ne peut être autorisé que par nécessité, et ce qui est interdit par précaution est permis par besoin ».
Conseil Européen de la Fatwa (décision 2/4)