I. Definition du fiqh
Le fiqh (droit musulman) est une science qui consiste à extraire les prescriptions juridiques pratiques à partir de leurs sources de référence.
Ou encore, l’ensemble des prescriptions juridiques auxquelles le musulman doit se conformer dans sa vie pratique. Ces prescriptions englobent tous les aspects de la vie, au niveau individuel et collectif.
La finalité de la science du fiqh est d’appliquer à chaque acte et dire émanant de l’être humain une prescription juridique.
II. Domaine d’application du fiqh :
1) Le culte (al-‘ibadat) : C’est l’ensemble des prescriptions juridiques concernant le culte musulman : Salat, Zakat, Jeûne, Pèlerinage.
2) Le statut personnel (al-ahwal ash-shakhciyya) : C’est l’ensemble des prescriptions qui organisent la famille.
3) Les affaires sociales (al-mou’amalat) : C’est l’ensemble des prescriptions qui organisent les différents échanges entre les individus : actes de ventes, location…
4) Le droit constitutionnel (al-ahkam as-sultaniyya) : L’ensemble des prescriptions qui définissent la relation entre le gouvernant et les gouvernés.
5) Le droit international: L’ensemble des Lois qui codifient les relations de l’état musulman avec les pays étrangers.
III. Les sources du fiqh :
Tous les musulmans s’accordent à considérer le Coran et la Sunna comme étant les deux sources scripturaires principales et fondamentales pour connaître les prescriptions de l’islam. Ils divergent, cependant, sur la légitimité juridique d’autres sources tels que le consensus « al’ijma’ », le raisonnement par analogie « al-qiyas », l’intérêt général indéterminé « al-maslaha al-moursala », l’usage ou la norme sociale « al-urf » …
En réalité, toutes ces sources qui soulèvent une certaine divergence, bien que majoritairement reconnue, se réfèrent et puisent leur légitimité du Coran et de la Sunna. Aussi, nous pouvons affirmer que le saint Coran et la Sunna pure sont les sources de chaque musulman désireux de connaître les règles de l’islam. Il ne s’agit nullement de nier la légitimité juridique des autres sources, mais cela signifie que les autres sources doivent être soumises au deux sources principales que sont le Coran et la Sunna.
IV. Les catégories de prescriptions juridiques :
Les prescriptions juridiques se divisent en deux catégories :
1- les prescriptions catégoriques (al-ahkam al-qat’iyya) :
C’est l’ensemble des prescriptions tirées des textes du Coran et de la Sunna dont la signification est catégorique et manifeste, à l’instar de :
1) L’obligation de la salat: « … Et accomplissez la salat … » (2:43)
2) L’obligation du jeûne: « … Et quiconque d’entre vous est présent en ce mois qu’il jeune » (2:185)
3) L’obligation de la Zakat: « … et acquittez-vous de la zakat… » (2 :43)
4) L’obligation du Pèlerinage: « … Et c’est un devoir envers Allah pour les gens qui ont les moyens, d’aller faire le pèlerinage de la Maison » (3 :97)
5) L’interdiction de l’usure : « … Et renoncez au reliquat de l’intérêt usuraire » (2 :278)
6) L’interdiction de la fornication : « …Et n’approchez point la fornication » (17 :32)
7) L’interdiction de l’alcool: « … Ecartez-vous en, afin que vous réussissiez » (5:90)
8) La prise en considération de l’intention : « Les actes ne valent que selon les intentions qui les animent » (al-Boukhari et Mouslim)
Les prescriptions catégoriques ne sont pas sujettes à la divergence et sont exclues du domaine de « l’ijtihad » (effort de réflexion personnel).
- Elles constituent l’ensemble des éléments reconnus essentiels et impératifs de la religion.
- Elles sont relativement moins nombreuses que les prescriptions conjecturales, mais leur importance réside dans le fait qu’elles établissent les fondements de la religion.
2- Les prescriptions conjecturable (al-ahkam adh-dhanniyya):
Elles comportent :
- a) L’ensemble des prescriptions juridiques tirées des textes du Coran ou de la Sunna dont la signification est conjecturale (non-catégorique).
- b) L’ensemble des prescriptions déduites par les jurisconsultes (fouqaha) à partir des autres sources législatives au moyen de l’ijtihad.
Exemples de la première catégorie :
* La partie de la tête sur laquelle on doit passer les mains mouillées lors des ablutions : Malik et Ahmed exigent la totalité de la tête, alors que Abou Hanifa et ash-Shafi’i se contentent d’une partie de la tête. La cause ce cette divergence réside dans le fait que la lettre arabe « ba » dans le verset « wamsahou bi-rou-ousikoum » présente plusieurs sens et n’a pas un sens exclusif et catégorique.
* La distance qui permet, pendant un voyage, de ne pas jeuner et de recourir au raccourcissement des Prières. Cette distance est estimée à quatre « bourad » (environ 90 km) pour les malikites, shafi’ites et hanbalites conformément au hadith rapporté par al-Boukhari et Mouslim relatant que Ibn ‘Omar et Ibn ‘Abbas raccourcissaient la Prière et ne jeûnaient pas lors d’un voyage de quatre « bourad ». Quant aux hanafites, ils assimilent cette distance à la distance parcourue en trois jours conformément au hadith rapporté par al-Boukhari : « Il n’est pas permis à une femme croyant à Dieu et au Jour Dernier d’entreprendre un voyage de trois jours à moins qu’elle soit accompagnée d’un proche « mahram » (un proche lié à elle d’un lien de parenté entrainant la prohibition permanente du mariage) ».
Il est évident que l’argumentation juridique des uns et des autres en se référant à ces deux textes, est une argumentation conjecturale et non pas catégorique.
Exemple de la deuxième catégorie :
* L’épouse du disparu dont on n’a aucune nouvelle ni de sa vie ni de sa mort. En ayant recours à l’ijtihad, les hanafites et les shafi’ites concluent qu’elle doit attendre que toute sa génération soit décédée, tout portera alors à croire qu’il soit décédé. C’est alors que le juge prononcera l’annulation du mariage. Il lui appartient ensuite de se remarier. L’argument utilisé est que le disparu était vivant, le principe veut donc qu’il soit toujours vivant jusqu’à confirmation de son décès. Il s’agit là d’un argument conjectural appartenant au domaine de l’ijtihad.
Quant aux malikites, leur ijtihad les a conduit à prononcer l’annulation du mariage à la demande de l’épouse au bout de quatre ans de la disparition de son mari, en temps de paix, au terme d’une année en temps de guerre. L’argument utilisé par les malikite est la prise en considération de l’intérêt de la femme. Il s’agit là encore d’une argumentation conjecturale liée à l’ijtihad.
V. Histoire de la jurisprudence islamique (Fiqh)
1ère étape : Du vivant du Prophète (BDSL)
Durant sa vie, le Prophète (BDSL) était la référence de tout musulman désireux de connaître les prescriptions juridiques, quelles soient tirées du Coran ou de sa tradition (Sunna) qui englobe ses actes, ses dires et ses approbations.
Lorsque les compagnons n’étaient pas en compagnie du Prophète (BDSL), ils appliquaient leurs propres ijtihads dans la limite de leurs connaissances des prescriptions juridiques et des principes généraux de l’islam. Puis, lorsqu’ils rencontraient le Prophète (BDSL), ils s’informaient auprès de lui en lui exposant leurs situations, celui-ci approuvait leurs ijtihads, ou rectifiait leurs attitudes, mais ne réprouvais en aucun cas le fait qu’ils eurent recours à leurs propres ijtihads. Par exemple, Al-Boukhari et Mouslim rapporte que ‘Ammar ibn Yassir, que Dieu l’agrée, dit : « le prophète (bdsl) m’a envoyé en mission. en route, je me suis trouvé en état de « janaba » alors que je ne disposais pas d’eau. je me suis alors roulé sur la terre comme le font les bêtes. au retour, j’en informai le prophète (bdsl qui me dit : « il te suffisait de faire ceci ». il posa les mains sur la terre une fois, passa ensuite la main gauche sur la main droite et essuya les mains jusqu’aux poignées et le visage »
Il peut arriver également que les compagnons se trouvent en groupe et manifestent des divergences de vue, puis lorsqu’ils exposent le sujet de leur divergence au Prophète (SBDL), celui-ci approuvait ceux qui avaient raison et rectifiait la position de ceux qui étaient dans l’erreur, il lui arrivait également d’approuver les deux points de vue comme ce fut le cas à l’occasion de l’expédition punitive à l’encontre de la tribu des « Banou Qouraydha ». En effet, le Prophète (BDSL) donna l’ordre de n’accomplir la Prière du ‘Asr qu’en territoire quouraydhite. En route, voyant le temps légal de la Prière du ‘Asr arrivé à son terme, certains accomplirent la salat considérant que l’objectif du Prophète (BDSL) n’était pas de retarder la salat mais de se dépêcher afin d’arriver en territoire qouraydhite pendant le temps légal de la Prière du ‘Asr et d’y prier. D’autres eurent un autre effort de réflexion (ijtihad) et décidèrent de se conformer au sens littéral de l’ordre prophétique, ils accomplirent ainsi la Prière le soir. Lorsque le Prophète (BDSL) fut mis au courant, il ne réprouva aucun des deux groupes, laissant entendre par là la possibilité qu’un cas juridique présente plusieurs éventualités toutes aussi valables les unes que les autres.
2ème étape : de la mort du Prophète (BDSL) à la mort des quatre imams :
Après la mort du Prophète (BDSL) et l’expansion du monde musulman, le besoin d’ijtihad éprouvé par les compagnons était de plus en plus grandissant, et ceci pour deux raisons principales :
1- L’apparition de nouvelles situations non mentionnées par les textes.
2- Chacun des compagnons ne connaissait pas la Sunna dans sa totalité.
De plus, la dispersion des compagnons dans tout le pays, notamment après la mort de ‘Omar ibn al-Khattab, a favorisé l’apparition de deux écoles différentes dans leurs approches du fiqh :
- L’école dite du hadith au Hidjaz : Elle se réfère principalement aux hadiths qui étaient très répandus dans cette région. De plus, la société n’a pas connu de grand changement qui exigerait le recours à l’ijtihad.
- L’école dite de la rationalité à al-Koufa : Elle fut appelée ainsi vu le recours de ses adeptes au raisonnement rationnel pour l’élaboration des prescriptions juridiques. Les hadiths n’étaient pas très répandus, de plus de l’apparition de nouvelles situations non mentionnées par les textes.
La différence entre ces deux écoles n’a cessé de se réduire notamment avec l’élaboration des recueils de hadith.
Durant cette période, le fiqh connaît un engouement et devient une science à part entière. De nombreux savants se distinguent, les plus réputés sont les quatre imams :
1- Abou Hanifa (80-150H) : d’origine perse, surnommé l’imam suprême « al-imam al-a’dham ». Il est à la tête de l’école de la rationalité. On lui attribut l’école hanafite.
2- Malik ibn Anas (93-179H) : L’imam des habitants de Médine. On lui attribut l’école malikite. Dans son approche au fiqh, il associe les textes prophétiques à la rationalité[1].
3- Mohammed ibn Idriss ash-Shafi’i (150-204H) : Il fut l’élève de l’imam Malik et de Mohamed ibn al-Hassan, disciple de Abou Hanifa. On lui attribut l’école shafi’ites.
4- Ahmed ibn Hanbal (164-241H) : Il fut l’élève de l’imam ash-Shafi’i. Il fut également l’élève de Abou Youssef (disciple de Abou Hanifa). On lui attribut l’école hanbalite.
D’autres illustres savants se sont distingués à l’instar des fouqaha parmi les compagnons : Abdoullah ibn Massaoud, Abdoullah ibn ‘Abbas, Abdoullah ibn ‘Omar et Zeyd ibn Thabit, parmi les tabi’ines (disciples des compagnons) : sa’id ibn al-Mousayyab, ‘Ata ibn Rabah, Ibrahim an-Nakh’i, al-Hassan al-Basri, Mak-houl, Taous et parmi les contemporains des quatre imams : Ja’far as-Sadiq, al-Awza’i, al-Layth ibn Sa’d…
Mais contrairement aux autres, les quatre imams ont eu l’occasion d’avoir des élèves qui diffusèrent leurs pensées en recueillant leurs avis, en les classifiant et en les commentant.
3ème étape : de la mort des quatre imams à la chute du califat ottoman
Les quatre écoles sont majoritairement reconnues et constituent le pilier central du droit musulman (fiqh). Les écoles furent enseignées et le fiqh connaît un grand développement et une grande expansion au point d’en arriver à supposer des situations peu probables. Les débats stériles font alors rage. Le chauvinisme prend de l’ampleur et une sclérose s’établit autour des écoles juridiques. L’immobilisme dans le fiqh s’installe. Le fiqh connaît alors une longue période d’amnésie. Le droit musulman n’est plus en mesure de répondre aux exigences du contexte en perpétuelle mutation. Au moment où il passe par une phase de saturation dans le domaine traitant des détails liés au culte « al-’ibadat », il est fortement appauvri dans les domaines des finances et de la politique générale. Le chauvinisme d’école provoqua l’immobilisme du fiqh musulman qui fut à son tour l’une des causes de la chute du califat ottoman
4ème étape : de la chute du califat ottoman à nos jours
Cette étape se distingue par le fossé qui ne cesse de se creuser entre deux tendances du droit musulman :
- Les adeptes des écoles juridiques : Ils appellent à la fermeture de la porte de l’ijtihad et à l’obligation de suivre l’une des quatre écoles et de s’y soumettre avec régularité et assiduité et d’une manière exclusive.
- L’école dite « salafi » : Les adeptes de cette tendance ne se reconnaissent pas dans les écoles juridiques et appellent au retour au Coran et à la sunna interdisant à tout musulman d’imiter une école.
L’opposition entre les deux tendances était déjà présente lors de l’étape précédente, mais au cours de cette dernière étape, elle ne cessa de s’accentuer au point que cette question devienne le sujet de débat principal dans les milieux des savants et des étudiants, pour toucher par la suite le commun des musulmans.
Les débats scientifiques eurent une influence considérable sur la révision des positions des uns et des autres, ce qui a permis de modérer les intransigeances de chacun et de limiter considérablement les points de divergence sur cette question au point qu’ils faillirent disparaître si ce n’est l’existence de certains chauvins et rigoristes des deux tendances qui persistèrent à véhiculer des positions extrêmes et radicales provoquant la réaction de l’autre partie, une réaction aussi radicale et virulente que celle des premiers.
Il importe donc de présenter quelques règles juridiques qui peuvent être des points de convergence entre les deux tendances, loin de tout chauvinisme ou radicalité :
Extrait du livre « La pureté rituelle » écrit par Moncef ZENATI – Éditions GEDIS
[1] – La différence entre la rationalité développée par l’école de la rationalité en Iraq et celle développé à Médine par l’imam Malik est que la première a plus souvent recours au raisonnement par analogie « qiyas » et au choix préférentiel « al-istihsan » alors que la rationalité de la deuxième se manifeste par le recours à l’intérêt général indéterminé « al-maslaha al-moursala ».